lLA CHASSE A LA PALOMBE EN IRLANDE

 

CHASSE A LA PALOMBE EN IRLANDE

 

                                "It's a long way to Tipperary..." dit le fameux refrain, mais de nos jours avec l'avion et les Ferries, l'Irlande c'est presque la porte à côté et si chaque hiver, de nombreux chasseurs de l'hexagone s'envolent vers la "Verte Erin" à la recherche de bécasses et de bécassines, il existe désormais un nombre grandissant de fanatiques atteints de la "Fièvre Bleue" qui viennent chasser la palombe dans le Sud de l'Irlande durant les mois d'été, période à laquelle ces oiseaux se regroupent en grands vols et attaquent sans merci les régions céréalières de cette île.

            Si les premiers se dirigent vers l'Irlande des cartes postales, l'Irlande du "Taxi mauve" ou des "Poneys sauvages", le Kerry, le Connemara, vastes étendues  de terres  tourbeuses  souvent incultes parsemées de lacs où des multitudes de moutons cherchent une maigre pitance parmi les bruyères, les rhododendrons mauves et les landes humides où prolifère la sauvagine,  les seconds, quant à eux, vont traquer les ramiers dans les régions céréalières de l’île. Ces terres riches et fertiles, longtemps réservées à l'élevage  ont récemment été le témoin d'une évolution importante. En effet, pour des raisons économiques de surproduction de viande au niveau national ainsi qu'au niveau de l'Europe, les éleveurs irlandais ont du peu à peu se tourner vers une exploitation mixte de leurs terres. Un élevage moins intensif côtoie donc maintenant une production massive de céréales et de légumes destinés aux grandes conserveries du pays. Cette augmentation dramatique des "terres de gagnage" possibles a entraîné une modification radicale des effectifs  de la faune sédentaire et migratrice de ces régions et dans certains cas, dans une proportion telle que certaines de ces espèces, comme la palombe, en sont devenues une réelle nuisance pour l'agriculture locale.

            La vallée de la Suir, dans le comté du Tipperary est traditionnellement un de ces "Greniers de l'Irlande" et ses  terres limoneuses sont une mosaïque de cultures céréalières (orge, blé, avoine), de  légumineuses (petits pois, haricots) et de plantes oléagineuses (colza).Toutes ces cultures, à un stage ou à un autre de leur développement  intéressent directement les ramiers et ceci explique que cette vallée a été victime d'un "boom pigeon" depuis une dizaine d'année. Et depuis lors, ces oiseaux au tempérament très opportuniste, ont  maintenant entièrement colonisé cette région d'Irlande où "la table est toujours mise".

             Cette grande plaine alluviale constitue une région cible pour les palombes migratrices en provenance de la Scandinavie, de l'Ecosse et de l'Angleterre et un bon nombre de ces oiseaux se sédentarisent chaque année. Les raisons de cette colonisation sont multiples et  sont inhérentes à la qualité de l'habitat, du climat favorable du sud de l'Irlande ainsi qu'à la diversité des zones de gagnage disponibles et aisément accessibles aux pigeons.

             Tout d'abord l'enneigement,  pratiquement nul en hiver dans cette région du Sud de l'Irlande, au climat doux et humide, favorise l'implantation de ces colombins de passage car les périodes de disette sont rares. Ensuite le remembrement n'ayant pratiquement pas eu d'influence sur cette grande plaine, les parcelles de terres sont restées petites et  les haies et les boqueteaux  ont survécu, conservant  ainsi un habitat idéal pour des espèces de toutes sortes et en particulier pour les ramiers qui préfèrent des grands arbres pour surveiller leurs territoires et aussi pour se brancher le soir venu. Enfin, des chaînes de montagnes très boisées dominent  la vallée de la  Suir offrant aux oiseaux  des lieux privilégiés de repos et de nidification.Tous ces facteurs positifs contribuent à la prolifération de la population des palombes dans cette région d'Irlande et si cela fait le bonheur de nous autres chasseurs, il n'en reste pas moins vrai que ces oiseaux créent d'immenses problèmes à cause de dégâts qu'ils causent  à l'agriculture et le contrôle de leurs effectifs reste une des priorités majeures des producteurs céréaliers  de la région.

  Car si elle attire toujours la convoitise des chasseurs, l'apparition annuelle des palombes migratrices est un événement qui ne déclenche aucun enthousiasme parmi les fermiers du cru.  Il suffit d'avoir vu un champ bleu se lever à votre approche pour avoir une idée du cauchemar que vivent certains exploitants agricoles lorsque leurs futures récoltes sont attaquées quotidiennement par des vols de plusieurs centaines de palombes. En effet, se regroupant en larges volées avec les pigeons sédentaires pratiquement dès leur arrivée sur ces territoires, les palombes en transit effectuent des raids très destructifs sur des territoires où il existe très peu de prédateurs naturels pouvant limiter leur prolifération. De plus, ces ramiers de passage  trouvent  toujours le temps de mener à bien au moins une couvée durant leur séjour contribuant de ce fait à augmenter dramatiquement les populations locales déjà importantes. Ce facteur complique bien évidemment le "problème pigeon" d'autant plus qu'il est souvent doublé d'un "problème corbeau" car plusieurs espèces de corvidés ( freux, choucas, corneille mantelée)  pillent souvent les mêmes récoltes que les ramiers avec qui  ils cohabitent volontiers.

            Longtemps classé en Irlande dans la liste des animaux nuisibles et de ce fait tirables toute l'année, le ramier a depuis deux saisons maintenant  un statut "gibier" et la saison de chasse s'étend  du 1er juin au 31 janvier. Il n'est donc plus possible de tirer cet oiseau lorsqu'il attaque dès le printemps les semis de petit-pois, de blé ou de colza et les agriculteurs en sont réduits à utiliser des canons à gaz  pour chercher à les effrayer  mais ces artifices perdent rapidement de leur crédibilité et de ce fait leur efficacité est souvent dérisoire. Les vrais problèmes commencent vers le mois de juin, lorsque les orages de la fin du printemps ont couché l'orge d'été par endroits, les ramiers se regroupent alors sur ces places où les épis foulés au sol sont une source de nourriture facile. Ces lieux deviennent très vite des points de concentration  de pigeons importants et les dégâts causés aux cultures  s'aggravent quotidiennement.

             C'est à ces périodes proches de la moisson que la chasse de la palombe à l'affût devient extrêmement productive. S'il est possible de chasser cet oiseau en essayant de le surprendre au repos dans les haies durant la journée, la chasse à l'affût reste sans aucun doute  la méthode la mieux adaptée et de loin la plus intéressante. Cette technique de chasse est relativement simple, elle consiste à se construire une "cache" dans une haie, préférablement près d'un grand arbre et à proximité de l'un de ces "points chauds" où les pigeons descendent au sol pour glaner leur nourriture.

             Il est possible de construire des abris  avec des matériaux trouvés sur place (branchages, bottes de paille etc.), il est aussi possible de se servir d'obstacles naturels tels que des arbres morts tombés au sol ou bien des fossés et des drains, on peut très bien aussi se servir de filets de camouflage et autres procédés mimétiques. Traditionnellement, en Irlande, la chasse de la palombe a l'affût se fait à l'aide d'appelants positionnés d'une façon stratégique, face au vent, relativement près les uns des autres et aux endroits où l'on a vu des pigeons descendre se nourrir les jours précédents. Les appelants utilisés au début de la chasse sont la plupart  du temps des formes plastiques, montées sur des petits perchoirs qui leur permettent d'osciller au gré du vent et de leur donner ainsi un semblant de vie. Si ces artifices assez réalistes rendent de précieux services, il est néanmoins recommandé de les remplacer le plus vite possible avec les premiers pigeons tués et d'en placer quelques uns avec les ailes écartées afin d'imiter une palombe battant des ailes avant de se poser. Certains spécialistes de ce genre de chasse  préconisent l'emploi de "Flapper" (pigeon mort placé sur une monture spéciale qui  permet au chasseur à l'affût de lui faire battre les ailes lorsqu'il tire sur une ficelle) et de pigeons fixés sur des branchettes flexibles d'environ 1m à 1.50m directement placées au dessus des céréales sur pied et qui oscillent dans le vent créant l'illusion d'un oiseau prêt à se poser. Si vous avez des aptitudes d'acrobates, il est conseillé aussi de percher une forme ou mieux encore une palombe morte montée sur une armature spéciale  assez haut dans un arbre et  sur une branche bien dégagée, ce subterfuge cherchant à imiter un pigeon en train de surveiller son territoire avant de descendre se nourrir au sol attirant bien souvent d'autres oiseaux sur le site. D'autres encore, tels certains de mes amis de Bordeaux, des "fêles" de la palombe, vont jusqu'à imiter le roucoulement d'un oiseau branché et arrivent à appeler des oiseaux volant hors de portée des fusils et à le diriger vers leurs appelants... du grand art... Il est important de noter qu'en Irlande, il est interdit de se servir d'appelants vivants et que l'utilisation de pigeons désailés comme leurres est non seulement illégale mais aussi indigne d'un vrai chasseur. Toutes ces combines, recettes et trucs divers sont en général le fruit de longues heures passées à observer les habitudes et les mœurs de ces palombes et comme toujours dans pratiquement toutes les techniques de chasse, "un bon coup d'œil vaut mieux qu'une mauvaise impasse" aussi il est  payant d'observer soigneusement un territoire et d'étudier les lignes de vol avant de choisir l'endroit où construire sa " cache" et où positionner ses appelants. Quelle que soit la méthode employée, il existe pour bien réussir au pigeon, des paramètres essentiels et des règles impératives à suivre.

            Afin d'appeler avec succès des palombes, il faut tout d'abord qu'il y en ait sur le territoire choisi pour la chasse à l'affût. Si qui semble être une Lapalissade est en fait une des vérités premières de cette forme de chasse au ramier. En effet seul la présence d'un excellent guide de chasse  connaissant parfaitement toutes les habitudes des pigeons convoités, leurs lieux de gagnage, qui peuvent varier d'une heure à l'autre, leurs lieux de repos afin de pouvoir déceler leur présence s'ils ne sont pas à table, leurs lignes de vol, toujours fonctions du vent et d'autres paramètres géographiques (col entre deux  montagnes, vol au dessus de certaines portions de rivières où les palombes vont boire, zones de branchage etc. ) pourra vous diriger vers les "bons coups". Le guide doit aussi connaître parfaitement l'état de maturité des récoltes qui intéressent les ramiers et aussi leurs préférences car il n'est pas rare de tuer des pigeons le soir ayant dans leur jabot du blé vert, de l'orge, des petits pois et des feuilles de luzerne alors que d'autres n'auront ingéré qu'une sorte de nourriture durant toute la journée. Il doit enfin connaître  parfaitement toutes les parcelles cultivées qui constitue son territoire et rester en contact quotidien avec les fermiers durant la période estivale afin de toujours connaître l'emplacement des champs assiégés par les palombes.

            Ces connaissances ne s'improvisent pas et un guide compétent est votre meilleur atout dans cette forme de chasse car un champ peut être "bleu" de palombes à votre arrivée  et désert pour le reste de la journée une fois que vous êtes confortablement installé dans votre affût. C'est alors que l'expérience de votre guide vous sera indispensable car il saura les retrouver ces palombes, probablement  se nourrissant impunément quelques champs plus loin...

            De plus, il est indéniable qu'il existe des "jours pigeons" et que certaines conditions météorologiques influencent énormément le résultat d'une journée de chasse. La  pluie, les canicules sans un souffle d'air et les refroidissements sont néfastes. De même, les palombes n'aimant pas la rosée, "la chasse du matin est souvent chagrin". La "journée pigeon idéale" est un jour venteux qui force les pigeons d'une part à voler  plus bas ce qui facilite leur tir et d'autre part les oiseaux semblent être plus actifs et leurs constants va et vient leur permet de découvrir plus facilement vos appelants. Cette activité, souvent fébrile, attire d’autres pigeons, souvent de très loin, augmentant encore de ce fait vos chances de réussite. Une activité importante et localisée, indiquant la découverte d'une source de nourriture, a toujours un pouvoir extrêmement attractif sur la majorité des espèces d'oiseaux  aux mœurs grégaires (corbeaux, mouettes, charognards etc.) et c'est cette réaction instinctive que le chasseur à l'affût cherche à déclencher avec ses appelants.

  Cette chasse de la palombe en été, période à laquelle la grande majorité des chasseurs français ont remisé leurs fusils jusqu'au prochain automne, permet à ceux-ci de pratiquer "hors saison" une vraie chasse qui mettra à l'épreuve leurs réelles qualités de tireur. Cette technique de chasse est considérée par beaucoup comme étant plus une discipline de tir qu'une vraie chasse, c'est possible mais la même chose peut être dite de bon nombre d'autres types de chasses  pratiquées dans l'hexagone.

            Afin de devenir un bon chasseur de palombes à l'affût, il vous faudra avoir ou acquérir les vertus et les qualités  suivantes. Premièrement une patience d'ange est indispensable car les oiseaux ne sont pas en activité toute la journée et il existe souvent de longs "temps morts", une nature tranquille et une prédisposition à la rêverie s'avéreront des atouts majeurs "au poste" lorsque "la belle bleue" se fait désirer. Ensuite une discrétion totale, car je connais peu de gibier possédant une vue plus perçante que ces palombes, celles-ci, en effet, décèlent à des distances étonnantes le moindre mouvement suspect ou bien la tache claire d'un visage non camouflé. Tout mouvement intempestif entraînera la fuite instantanée d'un oiseau qui se dirigeait sur vos appelants. Plus la saison avance, plus la méfiance de ces oiseaux grandit et plus il devient délicat d'appeler les palombes. Un tir instinctif de grande qualité est un atout majeur, car les oiseaux vous surprennent souvent par leurs angles d'approche et par la vitesse de leur descente, certains arrivent même à descendre sur vos appelants à votre insu profitant d'un moment où votre concentration s'est relâchée pour se poser en silence parmi vos leurres en plastique.

              Au pigeon seul les très bons fusils font mieux qu'une moyenne d'un oiseau pour trois cartouches et chaque année au début des séjours de chasse que j'organise, lorsque j'annonce ces pourcentages, nombreux sont les chasseurs qui me regardent avec un petit sourire en coin et qui ont l'air de dire "cause toujours"... quelques jours plus tard... et  la pendule est pratiquement toujours remise à l'heure... Côté armes, il semblerait qu'un bon nombre de chasseurs de palombes favorisent les automatiques qui leur donnent d'une part  le bénéfice d'un coup supplémentaire et d'autre part  ils "fatiguent" beaucoup moins l'épaule, facteur important quand 'on considère qu'il n'est pas rare de tirer plus de 150 cartouches par jour... Côté munitions, le numéro de base est le 7 1/2, certains préfèrent le n°6 ou même le n°5 pour les coups de distance néanmoins le 7 1/2  fait parfaitement l'affaire dans la majorité des cas. Le calibre 12 est bien entendu le plus populaire mais de plus en plus le 20 semble avoir ses adeptes et la légèreté  et le recul moins important de ces armes est souvent un atout au "poste".

             En dehors des safaris de chasse lointains souvent coûteux, la chasse à la palombe dans le Sud de l'Irlande offre aux chasseurs Français une possibilité relativement bon marché de pratiquer leur sport favori à une époque où la majorité d'entre eux ont remisé leurs fusils jusqu'à l'automne prochain. Moins aléatoire que la chasse de la sauvagine où il y a beaucoup d'appelés et souvent peu d'élus, la chasse à la palombe est sans aucun doute une forme de chasse qui elle aussi crée une dépendance  comme le prouve ma clientèle "d'habitués" qui reviennent chaque année religieusement se replonger dans l'atmosphère très particulière de cette chasse du ramier à l'affût.

            Malgré  la chasse intensive qui leur est faite  durant  toute la période estivale et l'évidente réduction de leur effectif qui en résulte, la population de ramiers de la Vallée de la Suir ne semble pas en être affectée outre mesure. Au contraire, le bulletin de santé de cette espèce est excellent, ces oiseaux opportunistes profitant au maximum de l'évolution de l'agriculture dans cette région d'Irlande. Le "Garde Manger" grandissant sans cesse, le nombre des " pique-assiettes "en fait de même et ceci nous promet encore de bien beaux accès  de  cette damnée "fièvre bleue".

                                                                                                                                                                                                                                                             J-L Trautner

 

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